segunda-feira, 7 de maio de 2012

1917, l’année des occasions perdues



François-Georges DREYFUS
Historien

Pourquoi écrire un ouvrage consacré à une année de la Grande guerre ?

C’est la question que l’on peut se poser à la lecture du titre de l’ouvrage que je viens de publier, 1917, l’année des occasions perdues. Cette année 1917 est une année capitale, non en raison des batailles qui s’y déroulent, mais par l’impact des événements non militaires qui s’y développent. 1917, en effet, ce sont les deux Révolutions russes, l’entrée en guerre des États-Unis, l’apparition d’un foyer national juif en Palestine, l’essor de l’anti-occidentalisme de la pensée allemande et la naissance de ce qu’on a appelé la "Révolution conservatrice" ; 1917, enfin, c’est l’année des tentatives de paix qui avorteront par suite de l’inexpérience et la maladresse de leurs auteurs, l’empereur Charles Ier d’Autriche et le pape Benoît XV. Ce double échec va entraîner la prolongation de la guerre et son quota de morts supplémentaires. Il est vrai que l’anticléricalisme de la France et de l’Italie, l’antipapisme de l’Américain Wilson, le poids de la Franc-Maçonnerie seront des éléments non négligeables de l’échec de ces tentatives de paix. On comprend dès lors pourquoi 1917 est l’année des occasions perdues.
La tentative de Charles Ier a échoué en raison de l’inexpérience du jeune successeur de François-Joseph qui a accédé au trône le 21 novembre 1916. Charles n’a pas su garder secrètes ses relations avec le gouvernement français, relations dans lesquelles ses beaux-frères, les princes de Bourbon-Parme jouaient un rôle essentiel. Il ne s’est pas méfié de la prégnance allemande soutenue par une partie de son entourage. Il est vrai que, du côté français, de telles démarches impliquaient la mise à l’écart de l’Italie, ce à quoi la plupart des milieux de notre pays se refusaient, quelles que fussent les difficultés, militaires et diplomatiques, que l’Italie en guerre créaient à l’Entente (1). Quant à la tentative de paix du pape Benoît XV, préparée par Mgr Pacelli, alors nonce à Munich, et lancée à un moment où le Reichstag allemand se prononce pour "une paix sans annexion", elle va se heurter à l’opposition du président américain Wilson qui se refuse tant à discuter avec le régime impérial allemand qu’à voir un pape arbitrer les relations internationales. Woodrow Wilson qui entre en guerre en tant qu’ "associé" de l’Entente veut affirmer l’accès des États-Unis au concert international, détruire l’équilibre européen, pour lui substituer un ordre international affaibli que les États-Unis pourront contrôler. En août 1917, il y a quatre mois que les États-Unis sont en guerre, il n’y a pas un soldat américain sur le front : que le Pape pût paraître comme l’arbitre des relations internationales, voilà ce que l’antipapiste Wilson ne pouvait accepter.

Naturellement, 1917, ce sont les deux révolutions russes, celle qui emporte le Tsar, en mars, apparaît à l’Ouest de l’Europe - naturellement peu porté à croire les informations fournies par leurs diplomates - comme un renforcement de l’Entente. Ce n’est pas le cas, au contraire ; le peuple russe souhaite deux choses : la paix qui évitera la disparition de plusieurs millions d’hommes, et le partage des terres. Face à ces revendications, le gouvernement provisoire du prince Lvov, puis de Kerenski est, faute d’expérience et de jugement, incapable de mettre en place une politique novatrice. Divisé entre les habituelles tendances de la gauche, il est incapable de résister au populisme qu’apporte un Lénine rentré en Russie par la grâce de l’État major allemand. C’est lui qui mène à la paix tant attendue par le peuple russe. Il paraît évident que si l’arbitrage de Benoît XV avait réussi, le léninisme ne l’aurait pas emporté et son influence délétère ne se serait pas répandue dans le monde. Il est intéressant de souligner l’influence du léninisme sur la pensée allemande. Souvent antioccidentale (avec Sombart (2), elle subit la marque de Lénine et sait concilier socialisme et nationalisme. C’est le cas, en particulier, chez Thomas Mann (1875-1955), dans Considérations d’un apolitique (1918) ou chez Oswald Spengler (3), notamment dans Prussianité et Socialisme (1919), qui vont conduire à l’apparition du mouvement "Révolution conservatrice" (Die Konzervative Revolution), une des matrices du National-socialisme hitlérien (Nationalsozialistische Deutsche Arbeiterpartei, Parti ouvrier allemand national-socialiste). 

1917, c’est aussi l’année où se prépare la disparition de deux grands empires multiethniques. L’Autriche-Hongrie, seul État à même de freiner le pangermanisme en Europe centrale, est condamnée à disparaître par la volonté du Grand Orient de France agissant sous l’influence d’intellectuels maçons tchèques, tels Thomas Masaryk (1850-1937) et Édouard Benes (1884-1948). Ils poussent à la création d’une État tchécoslovaque dont les peuples, quand ils seront vraiment libres de le faire, demanderont la disparition (4). Le second empire est l’Empire ottoman (5) où s’opposent Turcs et Arabes auxquels la déclaration Balfour (6) apportera un troisième élément constitué d’un "Foyer national juif" - ce malgré l’opposition catégorique des communautés israélites française et britannique. Ce foyer répond à un double objectif : faciliter l’exercice du pouvoir britannique au Moyen-Orient et rassurer les Juifs des États-Unis dont la majeure partie vient de la Russie qu’ils ont fuie, à cause des pogroms.

Ce qui marque le plus cette année 1917, c’est l’absence de toute sagesse politique dans les milieux aux affaires de presque tous les États. Il n’est pas inintéressant de constater qu’en 1917 le Reich a trois chanceliers et la France quatre présidents du Conseil. Pour des raisons politiciennes, le Parlement français siège en permanence et les chefs de gouvernement comme les ministres soumis à d’incessantes interpellations n’osent pas réagir fermement. La chute du gouvernement Briand, le 17 mars, à la suite d’un incident entre le général Lyautey, ministre de la Guerre, et la Chambre, en est la meilleure démonstration. Le gouvernement français a été incapable d’organiser de saines relations avec le chef d’État major de l’armée. On arrive à se débarrasser de Joffre, mais on fait appel, pour lui succéder, à celui que Joffre a désigné, Nivelle. Celui-ci lance, le 16 avril, l’offensive du Chemin des Dames qui est un échec dramatique causant en quelques jours plusieurs dizaines de milliers de morts. C’est alors, le 15 mai, que pour lui succéder, on fait appel à l’officier que soutenait Briand, le général Pétain. En quelques semaines, Pétain rétablit l’ordre dans une armée qui, profondément marquée par l’échec sanglant du Chemin des Dames, s’est laissée entraîner dans des mutineries. Commandant en chef, le général Pétain, proche du soldat en raison de sa situation d’avant-guerre (il commandait le 33e RI d'Arras), fait confiance aux combattants et apporte des améliorations sensibles à leurs conditions de vie. Sa stratégie, plus modeste que celle de ses prédécesseurs, porte ses fruits. Il rétablit le moral des armées, leur permettant de résister aux assauts de 1918. C’est de ce moment que date la popularité de Pétain considéré dans tous les milieux comme un général républicain. Cela explique l’importance de son rôle tant dans l’entre-deux-guerres que durant la période 1940-1944 (7). 

1917, on le voit, est une année clef de la Première guerre mondiale. Outre la prolongation des combats qui entraînera la mort d’un million supplémentaire de combattants, c’est en 1917 que se précise le déclin politique, diplomatique et économique de l’Europe, ainsi que sa balkanisation. 1917 est à l’origine des mouvements autoritaires, puis totalitaires des années 1920-1930, comme de l’engrenage qui conduira à la Seconde guerre mondiale. 

(1) France, Angleterre, Russie ont signé la Triple Entente en août 1907 ; elle fait pendant à la Triple Alliance, Allemagne, Autriche-Hongrie, Italie. L’Italie neutre au début de la guerre se joint à l’Entente en avril 1915.
(2) Werner Sombart (1863-1941), économiste et sociologue allemand, chef de "la Jeune école historique" - Die Jüngere Historische Schule - à laquelle on peut rattacher notamment Max Weber (1864-1920).
(3) Oswald Spengler (1880-1936) philosophe. Son œuvre majeure, Le Déclin de l'Occident, rédigée avant 1914, ne fut publiée qu'en 1918.
(4) La Tchécoslovaquie, née le 28 octobre 1918 de la défaite des empires centraux, a été dissoute après la réunification de l'Allemagne. Tchèques et Slovaques échouent sur la constitution d’un État commun début 1992. Les élections de juin 1992 voient la victoire des formations politiques séparatistes. La séparation s'opère à l'amiable. La République tchèque et la République slovaque naissent officiellement le 1er janvier 1993.
(5) Entré en guerre contre les pays de l'Entente le 1er novembre 1914, en tant qu'allié de l'Allemagne.
(6) La Déclaration Balfour, lettre ouverte adressée à lord L. W. Rothschild le 2 novembre 1917 par A. J. Balfour, ministre du Foreign Office, dans laquelle le Royaume-Uni se déclare en faveur de l'établissement d'un foyer national juif en Palestine.
(7) On a tendance aujourd’hui à faire du maréchal Pétain l’âme d’un complot contre la République. Si c’était le cas, on comprend mal pourquoi il entre au gouvernement Doumergue, au lendemain du 6 février 1934, pourquoi Daladier l’appelle (en vain) à être son vice-président du Conseil en septembre 1939. C’est Paul Reynaud qui réussit à le convaincre de l’assister en mai 1940. Au surplus, quand il est nommé ambassadeur de France auprès de Franco, le 2 mars 1939, L’Humanité et Le 

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