Le Salon du livre, qui se tient à Paris du 14 au 19 mars, met (aussi) cette année à l'honneur la révolution numérique qui bouleverse le monde de l'édition. L'occasion pour le quotidien Trouw d'Amsterdam d'explorer le phénomène exponentiel du blog littéraire.
De temps à autre, on trouve ce genre de petite annonce dans le journal : éditeur anglais prêt à proposer une belle somme à un blogueur pour la rédaction d'un livre. L'éditeur anglais Penguin, a utilisé, dans le cadre d'un projet appelé "A million penguins", la technologie Wikipedia pour que le plus grand nombre possible d'auteurs écrivent collectivement un roman. La lauréate autrichienne du prix Nobel, Elfriede Jelinek, a diffusé les premiers chapitres de son dernier roman sur Internet ; elle n'a pas l'intention de faire publier ce roman sous forme imprimée. Nadine S., qui parle sur le site Fok.nl de sa vie de fille au pair, publie un "blook" (un blog sous forme de livre – un mot qui vient de la contraction de "blog" et de "book") : "Journal d'une fille au pair". Ces nouvelles passionnantes laissent supposer que, sur Internet, un univers littéraire parallèle est en train de voir le jour. L'histoire de la Britannique Judith O'Reilly semble par exemple trop belle pour être vraie. Sans se douter de rien, elle a commencé un blog lorsqu'elle a quitté la ville trépidante de Londres pour emménager dans la région rurale du Northumberland, au nord de l'Angleterre, où il faut bien une demi-heure pour se rendre à la ville la plus proche. Cette journaliste, qui s'était laissée convaincre par son mari de renoncer à la vie professionnelle stressante qu'elle menait, a découvert qu'un isolement idyllique n'est pas la panacée. Alors que son mari continuait souvent à se rendre à Londres, elle était bloquée à la maison avec les enfants, dans ce qu'on peut appeler un trou perdu. Ecrit avec beaucoup d'autodérision, son blog "Wife in the North" est vite devenu populaire : Judith O'Reilly a été contactée par un agent littéraire six semaines seulement après qu'elle eut commencé à s'épancher sur Internet, puis l'éditeur Viking Penguin lui a proposé un contrat de 70 000 livres (environ 100 000 euros) pour écrire un livre. Ce n'est pas le seul blog qui finit en livre. Sur la librairie en ligne Amazon, on trouve toute une liste de "blooks" à succès, dont "Washingtonienne" de Jessica Cutler, à propos de ses aventures sexuelles dans les milieux politiques de Washington ; "Belle de jour", le journal d'une call-girl londonienne ; "Baghdad Burning", le journal d'une jeune Irakienne, écrivant sous le pseudonyme de Riverbend, à propos de la guerre ; et "Julie and Julia, 365 Days, 524 Recipes, 1 Tiny Appartment Kitchen" de Julie Powells, à propos d'une femme qui s'ennuie au travail et qui, dans son petit appartement de New York, tente de soigner sa dépression en préparant la nuit pendant une année entière toutes les recettes de l'ouvrage légendaire de Julia Childs, Mastering the Art of French Cooking [Maîtriser l'art de la cuisine française]. Publié par Penguin, son livre est devenu un best-seller. Il a aussi remporté le premier Blooker Prize, un prix qui est un clin d'œil au célèbre Booker Prize et qui récompense les blogueurs de langue anglaise étant parvenus à faire de leur blog un livre. Une initiative non sans arrière-pensées car elle vient de Lulu.com, site spécialisé dans l'autoédition en ligne, qui donc a tout intérêt à ce que les écrivains amateurs fassent publier leurs textes sur le Net. Aux Pays-Bas, un certain nombre de livres nés sur Internet ont déjà été publiés. Bien avant Nadine S., Francisco van Jole, passionné d'Internet de la première heure, publiait en 2001 le roman Blink, paru plus tôt sous forme de feuilleton sur son site web. Stephan Sanders a publié les chapitres de son roman paru en 2000, Liefde is voor vrouwen [L'amour, c'est pour les femmes] d'abord sur la Toile, pour que les lecteurs lui donnent des conseils et apportent leurs commentaires à mesure qu'il l'écrivait. Et les éditeurs néerlandais épluchent aussi Internet en quête de nouveaux talents. Nadine S., derrière laquelle s'avère d'ailleurs se cacher l'écrivaine et critique Karin Overmars, a été dénichée sur Internet par l'éditeur Rothschild & Bach ; la blogueuse Merel Roze a été contactée par Archipel, qui lui a demandé si elle n'avait pas envie d'écrire un livre.
L'activité littéraire sur Internet pousse comme le chiendent. Reste bien entendu à savoir si cette activité sur un nouveau média peut aussi aboutir à un nouveau type de littérature. Même si cela ne remonte qu'à la deuxième moitié des années 1990, elle paraît bien loin l'époque où le mot blog n'existait pas encore. Le mot clé qui était alors évoqué était l'hypertexte – un terme d'ailleurs inventé dès 1965, à l'âge de pierre de l'ordinateur, par le sociologue et philosophe américain Ted Nelson. Le concept était le suivant : un texte non linéaire, que l'on ne suivait pas en empruntant une voie toute tracée mais qui offrait la possibilité, à travers des hyperliens, de sauter vers d'autres parties du même texte ou dans d'autres textes au hasard. Cela paraissait encore particulièrement abstrait mais, depuis, tout le monde un tant soit peu familiarisé avec Internet sait qu'en cliquant sur un lien (des mots signalés dans le texte ou des renvois sous un texte) on peut zapper sur Internet. Aujourd'hui Internet fait partie de la norme, d'innombrables écrivains établis ou en devenir ont un site Internet ou un blog. Ils s'y font la plume, pour s'exprimer à l'ancienne, comme il y a toujours eu de tout temps des écrivains qui commencent leur journée en écrivant dans leur journal ou en rédigeant une lettre avant de se mettre à leur ouvrage. Car, lorsqu'on surfe d'un blog à l'autre, on remarque qu'on n'y écrit pas pour l'éternité et que l'on expérimente peu sur le plan littéraire les possibilités de la Toile. Internet est un média où tout tourne essentiellement autour de l'ego. En faisant défiler un blog après l'autre, on se voit sans cesse proposer "le plaisir de la transcription de la vie quotidienne", et surtout de la vie personnelle. Plus de 100 000 nouveaux blogs sont créés chaque jour dans le monde ; en décembre 2007, il y en avait plus de 112 millions en ligne. Il y a certainement parmi eux des perles littéraires à dénicher, mais essayez un peu de trouver l'arbre dans la forêt. Internet est un média profondément démocratique. Il n'y a pas de professionnels – rédacteurs, éditeurs ou critiques – pour opérer une sélection ; et, par conséquent, en paraphrasant Andrew Keen, auteur d'un livre très critique sur Internet, le culte de l'amateur triomphe. Par ailleurs, pour une raison ou une autre, on ne voit pas émerger, parmi les documents autobiographiques qui envahissent Internet, un grand art du journal intime. Cela vient de la forme particulière de publicité qu'offre la Toile. Quand on examine les blogs qui ont donné lieu à des blooks, on s'aperçoit que, dans presque tous les cas, il s'agit de notes légères à la Bridget Jones. Bien souvent, le récit à la première personne porte sur l'amour, les relations, l'érotisme. Et, souvent, on ne peut pas savoir s'il est "vrai" ou non, mais la suggestion que cela s'est vraiment passé entretient le suspense. Les mémoires d'une call-girl, le sexe dans le microcosme politique le plus important du monde, une fille au pair qui s'acoquine avec le maître de maison, etc., c'est bien plus excitant que n'importe quel roman-fleuve, parce que cela satisfait notre besoin de voyeurisme. Un véritable état de franchise et de sincérité n'est pas nécessaire dans le processus, car Internet est par définition à cheval sur la frontière entre la fiction et la réalité – on n'a plus besoin de créer un personnage, on peut se faire passer pour lui. Et, du côté du lecteur, il faut sans cesse évaluer si on a affaire à une personne qui existe vraiment ou à une mystification. On pourrait dire, avec une pointe de cynisme, qu'Internet est par essence un média littéraire. La franchise du Net a une autre particularité. Contrairement à ce qui se passe pour un livre, qui est publié par un éditeur avec une certaine signature, qui est classé dans les librairies parmi les romans, les biographies ou dans un autre endroit bien défini, et que trouvent les lecteurs en quête de romans littéraires, d'autobiographies ou de polars, on ne sait jamais la vie que vont mener les textes sur Internet. La Prix Nobel de littérature 2004, Elfriede Jelinek, l'a formulé ainsi, après avoir diffusé des extraits de son roman Neid [Envie] sur son site web : "Quand tout le monde a la possibilité de lire le texte, il est tout aussi possible que personne ne le lise. J'écris le texte, mais en même temps je peux me dissimuler derrière lui et il est pour ainsi dire non écrit." Ce n'est pas pour rien qu'elle appelle Neid un roman privé ; elle n'a pas l'intention de le faire paraître sous forme de livre. Ainsi, en tant qu'écrivain, on ne se dévoile pas : on ne défend pas son texte, on ne le donne pas au monde extérieur. Peut-être est-ce justement pour cette raison que tout cela n'a pas encore atteint des sommets littéraires.
Xandra SchutteTrouw
http://www.courrierinternational.com/
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